La Taqiyya [dissimulation] et les règles de la guerre islamique
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La Taqiyya [dissimulation] et les règles de la guerre islamique
Source: par Raymond Ibrahim
Middle East Quarterly, Hiver 2010
Translation of the original text: How Taqiyya Alters Islam’s Rules of War
Adaptation française: Jean Szlamowicz, pour debriefing.org
L’islam
doit apparaître aux non-musulmans comme une religion bien paradoxale.
D’un côté, on ne cesse de la présenter comme la religion de la paix et,
de l’autre, ses membres sont responsables de la majorité des actes
terroristes dans le monde. Les apologistes de l’islam soulignent que
cette foi se fonde sur une grande exigence éthique. Les autres
constatent qu’il s’agit d’une religion légaliste. La dualité des
critères de vérité et de fausseté dans l’islam révèle une nature
paradoxale : car si le Coran est contre les croyants qui trompent
d’autres croyants (en vertu du fait que « Allah ne guide pas celui qui
est outrancier et menteur » (1), la tromperie aux dépens des
non-musulmans, généralement appelée, en arabe, taqiyya, reçoit également
l’approbation coranique et fait partie des actes légalement permis aux
musulmans.
La tromperie musulmane peut être
considérée comme un moyen, qui manque, certes, de noblesse, au service
de la fin glorieuse que constitue l’hégémonie islamique de la chariah,
considérée comme favorable aux musulmans et aux non-musulmans. En ce
sens, il s’agit d’un mensonge altruiste, ce qui est autorisé. L’imam
Mahmoud al-Masri a récemment donné en exemple une histoire où un
musulman raconte un mensonge à un Juif pour le forcer à la conversion,
et dont il parle comme d’une « magnifique tromperie ».
La taqiyya a deux utilisations
principales. La plus connue consiste à masquer ses convictions
religieuses par crainte de persécutions. Il s’agit là de pratiques
historiques de la taqiyya au sein de la communauté chiite, dans tous les
cas où leurs rivaux sunnites étaient plus nombreux et constituaient une
menace. Inversement, les sunnites, loin d’être persécutés, ont toujours
pratiqué quand c’était possible une forme de taqiyya au service du
djihad contre les incroyants, faisant de la taqiyya une pratique non
plus seulement de dissimulation, mais de tromperie active. En fait, le
mensonge, qui a, dans l’islam, un fondement doctrinal, est souvent
présenté comme égal, et parfois supérieur, aux autres vertus guerrières
que sont le courage, la détermination, ou le sacrifice.
On pourra se demander comment il se fait
que les musulmans soient à la fois exhortés à la sincérité et
encouragés à la tromperie, et que cette dernière soit non seulement
dominante mais bénéficie aussi de l’approbation divine.
Qu’est-ce au juste que la taqiyya?
Comment les théologiens, ainsi que ceux qui en font usage, la
justifient-ils ? Comment s’inscrit-elle dans l’éthique islamique,
notamment dans son rapport avec les non-musulmans ? Et, plus
précisément, quelles sont les implications de la taqiyya pour toutes les
relations entre musulmans et non-musulmans ?
La doctrine de la Taqiyya
Selon la charia, c’est-à-dire l’ensemble
des règles qui définissent le comportement d’un musulman dans toutes
les circonstances de la vie, la tromperie est non seulement permise dans
certaines circonstances mais peut être considérée comme obligatoire.
Contrairement à la tradition chrétienne primitive, les musulmans
contraints de choisir entre reniement de l’islam et persécution avaient
la permission de mentir et de feindre l’apostasie. D’autres juristes ont
décrété que les musulmans étaient obligés de mentir afin de se
préserver (2), en se fondant sur les versets coraniques qui interdisent
aux musulmans de concourir à leur propre mort (3).
Telle est la définition classique de la
taqiyya. Construit sur un mot arabe connotant la crainte, le terme de
taqiyya passe (notamment auprès des chercheurs occidentaux) pour une
stratégie à laquelle on peut avoir recours en cas de persécution
religieuse, ainsi que les groupes minoritaires chiites l’ont fait quand
ils vivaient au sein de majorité sunnites hostiles (4). La taqiyya a
ainsi permis fréquemment aux chiites de masquer leur appartenance
religieuse face aux sunnites, non seulement en remisant leurs
convictions religieuses à la clandestinité, mais en priant et en se
comportant comme des sunnites.
Cependant, l’un des rares ouvrages
consacrés à ce sujet, At-Taqiyya fi’l-Islam (« De la dissimulation dans
l’islam ») dit clairement que la taqiyya ne se limite pas à la
dissimulation par crainte de persécutions. Son auteur, Sami Mukaram,
ancien professeur d’études islamiques à l’niversité américaine de
Beyrouth, qui a écrit environ vingt-cinq ouvrages sur l’islam, démontre
clairement la variété des applications de la taqiyya :
« La taqiyya est d’une importance
fondamentale dans l’islam. Pratiquement toutes les factions islamiques
la reconnaissent et la pratiquent (…) On peut même dire que la pratique
de la taqiyya fait partie de la norme de l’islam, et que les rares
factions qui ne la pratiquent pas sont justement en dehors de la norme
musulmane. La taqiyya est dominante dans la politique islamique, en
particulier durant la période moderne » (5).
La taqiyya n’est donc pas, comme on le
suppose souvent, un phénomène exclusivement chiite. Bien sûr, en tant
que minorité dispersée au sein de communautés sunnites ennemies, les
chiites ont historiquement plus de raisons de pratiquer la
dissimulation. Inversement, l’islam sunnite ayant rapidement dominé de
vastes empires, de l’Espagne à la Chine, ses membres ne devaient rien à
personne et n’eurent pas à faire allégeance à d’autres, ni à se cacher
face à des incroyants infidèles (l’Espagne et le Portugal de la
Reconquista sont les rares exceptions où les sunnites ont dissimulé leur
identité religieuse (6)). Ironiquement, les sunnites qui vivent en
Occident se trouvent désormais dans la situation qui était celle des
chiites, puisqu’ils vivent comme une minorité encerclée par ses ennemis
traditionnels, les chrétiens infidèles. Ces derniers, à la différence
des chrétiens de la Reconquista, se comportent rarement en adéquation
avec cette inimitié historique, et la reconnaissent encore moins. En
fait, les sunnites se retrouvent dans les circonstances générales qui
ont fait de la taqiyya un élément important du chiisme mais sans risquer
la menace physique qui en avait été initialement la source.
Les formulations de la taqiyya
Le verset 3:28 du Coran est souvent considéré comme le premier qui admet la tromperie envers les non-musulmans :
« Que les croyants ne prennent pas pour
alliés des infidèles au lieu de croyants. Quiconque le fait contredit la
religion d’Allah, à moins que vous ne cherchiez à vous protéger d’eux »
(7).
Muhammad ibn Jarir at-Tabari (mort en 923), auteur d’un commentaire du Coran, qui fait autorité, explique ainsi le verset 3:28 :
« Si vous [les musulmans] êtes sous
l’autorité de non-musulmans et craignez pour vous-mêmes, conduisez-vous
avec une apparence de loyauté envers eux, par la parole, tout en
conservant votre hostilité à leur égard par devers vous (…) [sachez que]
Allah a interdit aux croyants de se montrer amical ou intime avec les
infidèles, sauf si les infidèles les dominent. Dans ce cas précis,
qu’ils se comportent amicalement avec eux tout en préservant leur
religion » (8 ).
Toujours à propos de ce verset du Coran, Ibn Kathir (mort en 1373), qui est une autre grande autorité coranique, écrit :
« Quel que soit le lieu ou le moment,
quiconque craint des tourments [venant de non-musulmans] peut se
protéger en donnant le change ».
Il en veut pour preuve une citation
d’Abu Darda, proche compagnon de Mahomet, enjoignant d’« arborer un
large sourire face à certaines personnes tandis que notre cœur les
maudit ». Un autre compagnon, connu sous le nom d’Al-Hasan, a dit que «
la pratique de la taqiyya est acceptable jusqu’au jour du jugement »
(c’est-à-dire jusqu’à la fin des temps) (9).
D’autres savants importants, comme Abu
‘Abdullah al-Qurtubi (1214-73) et Muhyi ‘d-Din ibn al-Arabi (1165-1240),
ont étendu la taqiyya jusqu’à l’appliquer à de nombreuses actions. En
d’autres termes, les musulmans peuvent se conduire comme des infidèles
ou même pire, par exemple en se prosternant et en adorant des idoles et
des croix, en portant de faux témoignages, ou même en montrant les
faiblesses d’autres musulmans à l’ennemi infidèle — tout est permis sauf
tuer un autre musulman :
« la taqiyya, même si elle est pratiquée
sans contrainte, ne mène pas à un statut d’infidèle, même si elle peut
mener à des péchés méritant le feu de l’enfer » (10).
La tromperie dans les exploits guerriers de Mahomet
Mahomet — qui constitue [pour le
musulman] l’exemple de l’être humain parfait, dont la conduite doit être
imitée dans les moindres détails — avait une conception pragmatique du
mensonge. Il est notamment bien connu qu’il permettait de mentir dans
trois situations : pour réconcilier entre deux parties, ou plus, qui
sont en conflit, pour calmer sa femme, et à la guerre (11). Selon un
manuel de droit arabe consacré au djihad tel qu’il est défini par les
quatre écoles du droit islamique,
« les ulémas [savants] considèrent que
la tromperie en temps de guerre est légitime (…) la tromperie est une
forme de l’art de la guerre » (12).
De plus, selon Mukaram, cette tromperie est classée comme taqiyya:
« la taqiyya servant à duper l’ennemi est permise » (13).
Plusieurs ulémas estiment que la tromperie fait partie intégrante de l’art de la guerre. Ibn al-’Arabi déclare, par exemple :
« dans les hadiths [citations et actions
de Mahomet], le mensonge en temps de guerre est bien attesté. En fait,
le mensonge est davantage souligné que l’obligation de courage ».
Ibn al-Munir (mort en 1333) écrit :
« La guerre est tromperie, la guerre la
plus parfaite qu’un saint guerrier puisse faire est une guerre de
tromperie et non de confrontation, car la confrontation comporte des
risques, tandis que l’on peut obtenir la victoire par traîtrise et sans
risque pour soi ».
Quant à Ibn Hajar (mort en 1448), il conseille aux musulmans d’adopter
« une attitude très prudente dans la
guerre, tout en se lamentant [publiquement] et en portant le deuil de
manière à tromper les infidèles » (14).
Cette conception musulmane de la guerre
comme tromperie renvoie à la bataille du Fossé (627), qui opposa Mahomet
et ses disciples à plusieurs tribus non musulmanes, connues sous le nom
de Al-Ahzab. Parmi ces derniers, Na’im ibn Mas’ud se rendit dans le
camp musulman et se convertit à l’islam. Quand Mahomet s’aperçut que les
Ahzab n’étaient pas au courant de la conversion de Mas’ud, il lui
conseilla de retourner auprès d’eux et de les décider à lever le siège.
C’est à cette occasion que Mahomet est censé avoir émis l’adage célèbre,
« car la guerre est tromperie ». Mas’ud retourna auprès des Ahzab sans
qu’ils sachent qu’il avait changé de camp et, de son côté, il donna des
informations fausses à ses anciens amis et alliés. Il s’efforça
également de générer des querelles entre les différentes tribus jusqu’à
ce que, pleines de méfiance les unes envers les autres, elles finissent
par se séparer et lever le siège, sauvant ainsi les musulmans de la
destruction dans cette période encore embryonnaire [de l'islam] (15).
Plus récemment, des complices de
l’attentat du 11-Septembre, tel Khalid Sheikh Muhammad, ont invoqué,
dans leur défense, comme raison de leur rôle dans la conspiration,
l’argument du prophète selon lequel « la guerre est tromperie ».
On trouve une autre expression encore
plus puissante de la légitimité qu’il y a à tromper des infidèles, dans
l’anecdote suivante. Un poète, Ka’b ibn Ashraf, avait offensé Mahomet,
lequel s’était exclamé « Qui tuera cet homme qui a blessé Allah et son
prophète ? ». Un jeune musulman nommé Muhammad ibn Maslama s’était porté
volontaire, à condition que pour s’approcher de Ka’b afin de
l’assassiner, il ait la permission de lui mentir. Mahomet lui donna son
accord. Ibn Maslama alla voir Ka’b et commença à dire du mal de l’islam
et de Mahomet. Il continua ainsi jusqu’à ce que ses paroles soient assez
convaincantes pour que Ka’b se fie à lui. Ibn Maslama ne tarda pas
alors à se présenter avec un autre musulman et à tuer Ka’b qui ne se
méfiait plus (16).
Mahomet a pris d’autres positions qui font de la tromperie une action positive, comme lorsqu’il dit :
« Allah m’a commandé de parler de façon
équivoque parmi les peuples, au même titre qu’il m’a commandé d’édicter
des obligations [religieuses] » ;
ou encore :
« J’ai été envoyé dans des conditions impénétrables »,
et
« celui qui vit dans la dissimulation meurt en martyr » (17).
Bref, les premières sources historiques
de l’islam attestent clairement de l’importance suprême de la taqiyya
comme d’une forme islamique de guerre. De plus, les premiers musulmans
sont souvent décrits comme capables de se sortir de situations
difficiles grâce au mensonge, notamment en reniant ou en insultant
l’islam et Mahomet avec l’approbation de ce dernier – son seul critère
étant que leurs intentions (niya) soient pures (18). Au cours des
guerres contre les chrétiens, à chaque fois que les chrétiens avaient le
pouvoir, la pratique de la taqiyya devint même plus totale. Ainsi que
l’affirme Mukaram :
« la taqiyya était utilisée comme un
moyen, pour les musulmans, de repousser le danger, en particulier aux
moments critiques où leurs frontières étaient l’objet de guerre avec les
Byzantins, et, plus tard, l’objet des raids [croisades] des Francs et
des autres » (19).
La taqiyya dans la révélation coranique
Le Coran lui-même apporte d’autres
témoignages concernant la taqiyya. Puisque Allah est censé être la
source de ces versets révélés, il est considéré comme étant Lui-même
implicitement le perpétrateur absolu du mensonge, ce qui n’a rien de
surprenant puisque il est décrit dans le Coran comme étant le meilleur
makar, c’est-à-dire fourbe, trompeur (par exemple : 3:54, 8:30, 10:21).
Alors que les autres Ecritures saintes
contiennent des contradictions, le Coran est le seul texte à propos
duquel les commentateurs ont développé une doctrine pour rendre compte
des changements visibles d’une injonction à une autre. Un lecteur
attentif ne peut manquer de remarquer les versets contradictoires du
Coran, notamment la façon dont les versets de paix et de tolérance se
retrouvent quasiment côte à côte avec des versets de violence et
d’intolérance. Les ulémas furent embarrassés, au départ, pour décider à
partir de quels versets codifier l’ordre social de la chariah : celui
qui affirme que la religion ne peut exercer de coercition (2:256), ou
celui qui ordonne aux croyants de combattre tous les non-musulmans
jusqu’à leur conversion, ou au moins leur soumission à l’islam (8:39,
9:5, 9:29) ? Pour résoudre ce dilemme, les commentateurs ont développé
la doctrine de l’abrogation, qui, en gros, stipule, quand il y a
contradiction, que les versets révélés à Mahomet tardivement prennent le
pas sur ceux formulés au début de sa vie. C’est ainsi que, pour
déterminer quel verset abroge quel autre, une science théologique
consacrée à la chronologie des versets du Coran a été créée (on
l’appelle an-Nasikh wa’l Mansukh – ce qui abroge et ce qui est abrogé).
Mais pourquoi y aurait-il une
contradiction ? La réponse classique est que, dans les premières années
de l’islam, Mahomet et sa communauté étant largement inférieurs en
nombre aux infidèles avec lesquels ils étaient en concurrence et qui
vivaient avec eux à la Mecque, un message de coexistence pacifique était
de rigueur. Cependant, après l’exil des musulmans à Médine, en 622, et
le développement de leur force guerrière, les versets les incitant à
l’offensive leur furent progressivement « révélés », c’est-à-dire en
principe envoyés par Allah, à mesure que la puissance des musulmans
augmentait. Dans les textes juridiques, ces versets sont classés en
différentes catégories : passivité face à l’agression ; permission de
répliquer face à des agresseurs ; commandement incitant à combattre les
agresseurs ; commandement incitant à combattre tous les non-musulmans
qu’ils aient été initialement agresseurs ou pas (20). Le développement
de la puissance musulmane est la seule variable fournie pour expliquer
ces changements graduels de politique.
D’autres érudits renforcent cette
conception en soulignant que sur une période de 22 ans, le Coran a été
révélé petit à petit et a d’abord privilégié des versets ne réclamant
pas d’action et restant de nature spirituelle avant de passer ensuite à
des prescriptions et des injonctions réclamant de diffuser la foi par le
djihad et la conquête, et ce de manière à ne pas rebuter les premiers
convertis musulmans face aux devoirs qui sont ceux de l’islam, et éviter
qu’ils ne soient découragés par les obligations importantes qui
n’apparaîtront que dans les versets plus tardifs (21). Ces versets – tel
celui qui dit : « Il vous est prescrit de combattre, même si cette
prescription, vous l’avez en horreur » (22), auraient été déplacés à un
moment où la guerre n’était pas pensable.
Quelles que soient les interprétations
de l’abrogation dans le Coran, l’opinion commune sur la question des
versets concernant la guerre et la paix est que, quand les musulmans
sont en position de faiblesse, ou minoritaires, ils doivent prêcher et
être fidèles à l’éthique des versets mecquois (paix et tolérance) ;
alors que, lorsqu’ils sont en position de force, ils doivent passer à
l’offensive sur la base des commandements figurant dans les versets de
Médine (guerre et conquête). Les avatars de l’histoire islamique
témoignent de cette dichotomie et se reflètent dans le proverbe
communément admis parmi les musulmans et qui se fonde sur un hadith,
selon lequel le djihad doit être réalisé par la main (par la force), ou
sinon, par la langue (par le prêche), et si cela n’est pas possible, par
le cœur ou par les intentions secrètes de chacun (23).
La guerre est éternelle
Que l’islam légitime la tromperie dans
le cadre de la guerre n’a, bien sûr, rien d’étonnant. Après tout, comme
l’a formulé un auteur élizabéthain, John Lyly, « tout est bon, en amour
comme à la guerre » (24). D’autres philosophes ou stratèges non
musulmans, comme Sun Tzu, Machiavel et Thomas Hobbes, ont justifié la
tromperie dans la guerre. Tromper l’ennemi dans le cadre de la guerre
relève du bon sens. La différence cruciale avec l’islam, c’est que la
guerre contre l’infidèle est considérée comme permanente, et dure, selon
le Coran, jusqu’à ce que « cesse tout chaos et que toutes les religions
appartiennent à Allah » (25). Dans son article sur le djihad de
l’Encyclopaedia of Islam, Emile Tyan remarque :
« le devoir de jihad existe aussi
longtemps que la domination universelle de l’islam n’a pas été atteinte.
La paix avec les nations non musulmanes n’est donc que provisoire, et
seul le hasard des circonstances peut la justifier de manière provisoire
» (26).
De plus, et pour en revenir à la
doctrine de l’abrogation, des érudits musulmans comme Ibn Salama (mort
en 1020) s’accordent pour dire que le verset 9:5 du Coran, connu sous le
nom de ayat as-sayf, ou verset du sabre, abroge environ 124 des versets
mecquois plus pacifistes, car cela inclut « tous les versets coraniques
qui prêchent autre chose qu’une offensive totale contre les
non-croyants » (27). En fait, les quatre écoles de la jurisprudence
sunnite sont d’accord pour dire que
« le djihad consiste à faire la guerre
aux infidèles qui, après qu’on leur ait enjoint d’embrasser l’islam, ou
au moins de payer une [jizya] et de vivre soumis, ont refusé de le faire
» (28).
Le caractère obligatoire du djihad est
clairement exprimé par la vision du monde dichotomique qui oppose le «
royaume de l’islam » au « royaume de la guerre ». Le premier s’appelle,
dar al-Islam, ou « règne de la soumission », et représente le monde où
domine la chariah. Le second, dar al-Harb, ou règne de la guerre,
représente le monde non-islamique. Le combat se perpétue jusqu’à ce que
le règne de l’islam engloutisse le monde non-islamique. Cet état de fait
est celui qui existe encore aujourd’hui. Le très célèbre historien et
philosophe musulman, Ibn Khaldun, (mort en 1406) formule clairement
cette opposition :
« Dans la communauté musulmane, le
djihad est un devoir religieux en raison de l’universalisme de la
mission musulmane et de l’obligation de convertir tout le monde à
l’islam par la persuasion ou par la force. Les autres groupes religieux
n’avaient pas une mission universelle et le djihad n’était pas un devoir
religieux pour eux, excepté pour des raisons défensives. Mais l’islam
est obligé de conquérir le pouvoir contre les autres nations » (29).
Enfin, indépendamment de tous les faits
avérés, il est bon de noter — à moins qu’on puisse encore trouver
déraisonnable qu’une foi ayant un milliard d’adeptes oblige à déclencher
en son nom des guerres sans raison — que l’expansionnisme djihadiste
est considéré comme un acte altruiste, un peu à la manière de
l’idéologie du « fardeau de l’homme blanc » au XIXe siècle. Selon cette
logique, que le monde vive en démocratie sous le socialisme, le
communisme ou tout autre système de gouvernance, il vit inévitablement
enchaîné dans le péché, car le bien suprême de l’humanité réside dans
l’accord avec la loi d’Allah. Dans ce contexte, la tromperie musulmane
peut être considérée comme un moyen, légèrement inférieur en noblesse,
dans un but glorieux : l’hégémonie islamique du règne de la chariah, en
tant qu’elle est bonne pour tous, musulmans comme non-musulmans.
Cette conception n’a en fait rien de
neuf. Peu après la mort de Mahomet, en 634, avec la déferlante de
guerriers du djihad, venue de la péninsule arabique, un commandant
perse, qui ne devait pas tarder à succomber à l’invasion, demanda aux
musulmans ce qu’ils désiraient. La réponse – mémorable – fut la suivante
:
« Allah nous a envoyés ici afin que nous
puissions libérer ceux qui le désirent de la servitude de leurs maîtres
terrestres et en faire les serviteurs d’Allah, afin de transformer leur
misère en richesse et les libérer de la tyrannie et du chaos des
[fausses] religions et leur apporter la justice de l’islam. Il nous a
envoyés pour apporter sa religion à toutes ses créatures et leur lancer
un appel pour qu’ils rejoignent l’islam. Tous ceux qui accepteront cet
appel seront saufs et nous les laisserons en paix. Mais quiconque refuse
cet appel sera combattu jusqu’à ce que nous accomplissions la promesse
d’Allah » (30).
Mille quatre-cent ans plus tard, en mars 2009, le juriste saoudien, Basem Alem, se fit l’écho de cette conception :
« En tant que membre de la vraie
religion, j’ai davantage de droit à envahir les autres afin d’imposer un
certain mode de vie [la chariah], dont l’histoire a démontré qu’il
était le meilleur et le plus juste parmi toutes les civilisations. Tel
est le véritable sens du djihad offensif. Quand nous nous engageons dans
le djihad, ce n’est pas pour convertir les gens à l’islam, mais pour
les libérer du sombre esclavage dans lequel ils vivent » (31).
Et il va sans dire que la taqiyya au
service d’un tel altruisme est permise. Par exemple, très récemment,
après avoir raconté une histoire où un musulman force un Juif à se
convertir à l’islam en lui disant que s’il renonçait à l’islam, les
musulmans le tueraient pour apostasie, l’imam Mahmoud al-Masri a parlé
d’une « magnifique tromperie » (32). Après tout, d’un point de vue
islamique, c’est le Juif qui a été le bénéficiaire de cette tromperie
puisqu’elle l’a fait entrer dans l’islam.
Trèves et traités
La nature perpétuelle du djihad est
soulignée par le fait, soutenu par les juristes, que 10 ans est la durée
maximale de paix pour les musulmans avec les infidèles. Une fois que le
traité a expiré, la situation doit être réévaluée. Ils s’appuient sur
le traité de paix d’Hudaybiya ratifié en 628 par Mahomet et ses ennemis
Quraysh à la Mecque. L’exemple de Mahomet qui brisa ce traité au bout de
deux ans (en prétextant une infraction des Quraysh) montre que la seule
fonction d’une trève est de permettre aux musulmans s’ils sont
affaiblis de gagner du temps et de se regrouper avant une nouvelle
offensive (33) :
« Par leur nature même, les traités
doivent avoir une durée temporaire, car, dans la théorie juridique
musulmane, les relations normales entre territoires musulmans et
non-musulmans ne sont pas pacifiques mais guerrières » (34).
En se fondant sur ce point,
« les fuqaha [juristes] sont d’accord
pour considérer une trève illimitée comme illégitime, si les musulmans
sont en position assez forte pour repartir en guerre contre les
non-musulmans » (35).
Bien que la chariah demande aux
musulmans d’honorer les traités, il existe donc une sortie possible qui
est propice aux abus : si les musulmans pensent, même sans preuves
solides, que leurs ennemis vont rompre le traité, ils peuvent le briser
les premiers. De plus, certaines écoles de droit islamique, comme celle
des Hanafites, affirment que les responsables musulmans peuvent abroger
les traités tout simplement si cela semble être à l’avantage de l’islam
(36). Cela n’est pas sans rappeler le hadith canonique suivant :
« si tu fais serment de procéder à une
action et que tu te rends compte, plus tard, qu’une autre action est
meilleure, alors tu devras renier ton serment et faire ce qui est mieux »
(37).
Et qu’y a-t-il de mieux et de plus
altruiste que de rendre la parole d’Allah dominante en déclenchant à
nouveau le djihad dès que possible ? Traditionnellement, les dirigeants
musulmans lançaient un djihad au moins une fois par an. Ce rite est
particulièrement remarquable chez les sultans ottomans, qui passaient la
moitié de leur vie sur le champ de bataille (38). Le devoir de djihad
était tellement important, que les sultans n’avaient pas le droit
d’effectuer le pèlerinage à la Mecque – qui est pourtant un devoir
individuel pour chaque musulman. C’est leur prise en main du djihad qui a
permis à ce rite collectif de perdurer, autrement, il serait tombé en
désuétude (39).
Pour résumer, le prérequis pour la paix
ou la réconciliation est que les musulmans aient l’avantage. C’est ce
que démontre un texte sunnite qui fait autorité, Umdat as-Salik, écrit
par un érudit égyptien du XIVe siècle, Ahmad Ibn Naqib al-Misri :
« On doit trouver un bénéfice [maslaha] à la trève, autre que le seul status quo, car [il est écrit] :
« Ne soyez pas pusillanimes en offrant la paix à l’ennemi quand vous êtes les plus forts ! » [Coran, 47] » (41).
On rappellera un épisode plus récent, et
qui est d’une importance majeure pour les dirigeants occidentaux qui
recommandent la coopération avec les islamistes. Yasser Arafat venait de
négocier un traité de paix qui avait été vivement critiqué comme
concédant trop de choses à Israël. Il s’adressa alors à une assemblée
musulmane dans une mosquée de Johannesburg, et se justifia en ces termes
:
« Je considère cet accord au même titre
que l’accord signé par notre prophète Mahomet et les [Banei] Quraysh de
la Mecque » (42). En d’autres termes, comme Mahomet, Arafat n’avait
donné sa parole que pour la renier une fois que la situation le
permettrait, c’est-à-dire quand les Palestiniens seraient à nouveau en
position de passer à l’offensive et de reprendre la route de Jérusalem.
Dans d’autres contextes, Hudaybiya a fait figure de mot-clé pour les
islamistes radicaux. Le Moro Islamic Liberation Front avait trois camps
d’entraînement au sein du complexe d’Abu Bakar dans les Philippines et
l’un d’eux s’appelait Camp Hudaybiya (43).
L’hostilité sous les traits de la récrimination
Dans les discours à destination des
opinions publiques européennes ou américaines, les islamistes
soutiennent que le terrorisme qu’ils exercent contre l’Occident n’est
que la réciprocité de décennies d’oppression occidentale ou israélienne.
Mais dans les écrits qui s’adressent aux autres musulmans, cet esprit
vindicatif n’est pas présenté comme la réaction à une provocation
militaire ou politique, mais comme le produit d’une obligation
religieuse.
Par exemple, quand il s’adresse au
public occidental, Ousama ben Laden dresse la liste des récriminations
qui justifient sa guerre contre l’Occident, depuis l’oppression des
Palestiniens jusqu’à l’exploitation de la femme par l’Occident, ou même
le fait que les Etats-Unis n’ont pas signé le protocole de Kyoto, ce qui
constitue des arguments audibles pour l’opinion occidentale. Jamais il
ne justifie les attaques d’Al-Qaïda contre les cibles occidentales par
le simple fait que les nations non musulmanes sont par définition des
entités infidèles qui doivent être soumises. En fait, il va jusqu’à
faire précéder ses messages à destination de l’Occident de phrases comme
« la réciprocité fait partie de la justice », ou « paix à tous ceux qui
suivent une voie droite » (43), même si ce que le public occidental
comprend par là est sans rapport avec ce qu’il met derrière les mots «
paix », « justice » ou « droiture ».
C’est quand Ben Laden s’adresse aux
autres musulmans que la vérité ressort. Quand un groupe de musulmans de
premier plan avait écrit au peuple américain, peu de temps après les
attentats du 11-Septembre, pour affirmer que l’islam cherche à coexister
pacifiquement (44), Ben Laden avait pris la plume pour les remettre à
leur place :
« En ce qui concerne les relations entre
musulmans et infidèles, elles sont résumées par ce mot du Très-Haut :
‘Nous vous renions, et désormais l’inimitié et la haine nous séparent
jusqu’à ce que vous croyiez en Allah seul » [Coran 60]. Il y a donc
une inimitié dont la preuve est l’hostilité farouche ancrée dans nos
cœurs. Et cette hostilité farouche, c’est-à-dire cette guerre, ne
cessera que si l’infidèle se soumet à l’autorité de l’islam ou qu’il est
interdit de faire couler son sang [c'est-à-dire s'il est dhimmi, ou
minorité protégée], ou si les musulmans sont, à un moment donné, dans
une situation de faiblesse qui les empêche d’agir. Mais si la haine
s’éteint de nos cœurs, il s’agit alors d’une très grande apostasie ! (…)
Telle est la base et le fondement des relations entre l’infidèle et le
musulman. Guerre, animosité, haine, infligées par le musulman à
l’infidèle, tel est le fondement de notre religion. Et nous considérons
que nous faisons ainsi un acte de justice et de bonté à leur égard »
(45).
Les quatre écoles classiques de
jurisprudence islamique soutiennent cette conception du monde, faite
d’hostilité, en parlant des infidèles en termes similaires. Quand Ben
Laden s’adresse à l’Occident en parlant de paix et de justice, ce sont
des exemples typiques de taqiyya. Non seulement il s’est engagé dans un
djihad physique, mais aussi dans une guerre de propagande, ou, en
d’autres termes, une guerre de tromperie. S’il parvient à convaincre
l’Occident que le conflit actuel est entièrement dû à l’Occident, il
pourra gagner à sa cause une plus grande sympathie. Parallèlement, il
sait que si les Américains se rendaient compte que rien hormis leur
totale soumission ne peut ramener la paix, sa campagne de propagande
serait rapidement compromise. D’où ce besoin constant de masquer ses
objectifs et de mettre en avant des récriminations, car, comme le dit le
prophète de Ben Laden, « la guerre est tromperie ».
Implications
La taqiyya pose un ensemble de problèmes
éthiques. Quiconque croit véritablement que Allah justifie, et même,
par l’exemple de son prophète, encourage la tromperie, n’aura aucun
scrupule éthique à mentir. Prenons le cas d’Ali Muhammad, le premier «
formateur » de Ben Laden et longtemps agent d’Al-Qaïda. Egyptien, il a
d’abord fait partie du Jihad Islamique et a servi dans le renseignement
militaire de l’armée égyptenne. Après 1984, il a travaillé un temps avec
la CIA en Allemagne. Quoique considéré comme peu fiable, il a réussi à
aller en Californie, où il s’est enrôlé dans l’armée américaine. Il est
vraisemblable qu’il a continué à travailler, à un titre ou un autre,
pour la CIA. Il a ensuite entraîné des djihadistes aux Etats-Unis et en
Afghanistan et est responsable de plusieurs opérations terroristes en
Afrique. Les gens qui le connaissaient avaient pour lui
« de la crainte et du respect pour son
incroyable assurance, l’impossibilité qu’il avait d’être intimidé, la
détermination absolue qu’il avait de détruire les ennemis de l’islam, et
sa foi zélée dans les credos du militantisme islamique fondamentaliste »
(46).
De fait, cette phrase résume tout : car
une croyance zélée aux fondements de l’islam, qui légitime la tromperie
pour faire triompher la parole d’Allah, aura sans nul doute un impact
considérable sur la capacité à développer cette « incroyable assurance »
pour mentir (47).
Poutant, la plupart des Occidentaux
continuent de croire que les mœurs, les lois et les contraintes éthiques
musulmanes sont à peu près identiques à celles de la tradition
judéo-chrétienne. Avec naïveté ou arrogance, les grands avocats du
multiculturalisme projettent leur propre conception du monde sur les
islamistes et pensent qu’une poignée de main et un sourire autour d’une
tasse de café, assortis de nombreuses concessions suffiront pour
démanteler la puissance de la parole de Dieu et des siècles de tradition
immuable. Les faits sont têtus : le bien et le mal dans l’islam ont peu
à voir avec les critères universels et restent fonction des
enseignements propres à l’islam, dont la majeure partie est en
opposition totale avec les normes occidentales.
Il faut donc admettre, en contradiction
avec des croyances savantes depuis longtemps établies, que, chez les
musulmans, la doctrine de la taqiyya va bien plus loin que la seule
dissimulation religieuse afin de préserver son existence et concerne le
fait de tromper l’ennemi infidèle de manière plus large. La taqiyya
étant une seconde nature du chiisme, ce phénomène devrait apporter un
contexte éloquent au zèle chiite iranien pour se procurer la puissance
nucléaire, tout en insistant sur ses objectifs pacifistes.
La taqiyya ne concerne pas seulement les
affaires internationales. Walid Phares, de la National Defense
University, s’est déjà plaint de voir des islamistes américains actifs
sur le sol américain, et ce sans la moindre entrave, grâce à leur
utilisation de la taqiyya :
« Est-ce que notre gouvernement est au
courant de cette doctrine et, ce qui est encore plus important, est-ce
que les autorités font quelque chose pour que notre système de défense
s’adapte à cette menace dormante et invisible qui se développe en notre
propre sein ? » (48).
A la lumière du massacre de Fort Hood,
quand Nidal Malik Hasan – musulman américain qui montrait de nombreux
signes d’islamisme, qui n’ont pas été pris au sérieux – a tué treize de
ses collègues, il faut bien malheureusement répondre par la négative.
Le problème est donc le suivant. La loi
islamique divise sans aucune ambiguïté le monde en deux parties
perpétuellement en guerre — le monde islamique et le monde non islamique
— et il considère que la volonté divine est de voir le premier vaincre
le second. Si la guerre contre l’infidèle est un état perpétuel, si la
guerre est dissimulation et que la fin justifie les moyens, un certain
nombre de musulmans concluront naturellement qu’ils ont le droit —
d’origine divine — de mentir, tant que c’est utile, selon eux, pour
aider l’islam « jusqu’à ce que le chaos cesse et que toutes les
religions appartiennent à Allah » (49).
De plus, une telle dissimulation sera
considérée comme le moyen d’une fin altruiste. Les ouvertures au
dialogue et à la paix ou même à des trèves temporaires doivent être
envisagées en fonction de cette doctrine, ce qui n’est pas sans rappeler
les observations pratiques faites par le philosophe James Lorimer, il y
a plus d’un siècle :
« Tant que l’islam continue d’exister,
la réconciliation de ses partisans, même avec les Juifs et les
chrétiens, et plus encore avec le reste de l’humanité, restera un
problème insoluble » (50).
On peut conclure que face à l’opposition
naturelle entre guerre et paix, qui existe dans le cadre occidental, il
est plus approprié de parler d’une opposition entre guerre et
dissimulation dans le cadre islamique. Car, selon le point de vue
islamique, les périodes de paix, qui n’ont lieu que quand l’islam est
plus faible que ses rivaux infidèles, sont des périodes de paix simulée
et de dissimulation, bref de taqiyya.
Notes
(1) Coran 40:28.
(2) Fakhr ad-Din ar-Razi, At-Tafsir al-Kabir (Beirut: Dar al-Kutub al-’Ilmiya, 2000), vol. 10, p. 98.
(3) Coran 2:195, 4:29.
(4) Paul E. Walker, The Oxford Encyclopedia of Islam in the Modern
World, John Esposito, ed. (New York: Oxford University Press, 2001),
vol. 4, s.v. « Taqiyah, » pp. 186-7; Ibn Babuyah, A Shi’ite Creed, A. A.
A. Fyzee, trans. (London: n. p., 1942), pp. 110-2; Etan Kohlberg,
« Some Imami-Shi’i Views on Taqiyya, » Journal of the American Oriental
Society, 95 (1975): 395-402.
(5) Sami Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam (London: Mu’assisat at-Turath ad-Druzi, 2004), p. 7.
(6) Devin Stewart, « Islam in Spain after the Reconquista« , Emory University, p. 2, accès au site, le 27 nov. 2009.
(7) Voir aussi Coran 2:173, 2:185, 4:29, 16:106, 22:78, 40:28, versets
cités par les juristes musulmans comme légitimant la taqiyya.
(8 ) Abu Ja’far Muhammad at-Tabari, Jami’ al-Bayan ‘an ta’wil ayi’l-Coran
al-Ma’ruf: Tafsir at-Tabari (Beirut: Dar Ihya’ at-Turath al-’Arabi,
2001), vol. 3, p. 267.
(9) ‘Imad ad-Din Isma’il Ibn Kathir, Tafsir al-Coran al-Karim (Beirut: Dar al-Kutub al-’Ilmiya, 2001), vol. 1, p. 350.
(10) Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam, pp. 30-7.
(11) Imam Muslim, « Kitab al-Birr wa’s-Salat, Bab Tahrim al-Kidhb wa
Bayan al-Mubih Minhu, » Sahih Muslim, rev. ed., Abdul Hamid Siddiqi,
trad. (New Delhi: Kitab Bhavan, 2000).
(12) Ahmad Mahmud Karima, Al-Jihad fi’l Islam: Dirasa Fiqhiya Muqarina (Cairo: Al-Azhar, 2003), p. 304.
(13) Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam, p. 32.
(14) Raymond Ibrahim, The Al Qaeda Reader (New York: Doubleday, 2007), pp. 142-3.
(15) Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam, pp. 32-3.
(16) Ibn Ishaq, The Life of Muhammad (Karachi: Oxford University Press, 1997), pp. 367-8.
(17) Shihab ad-Din Muhammad al-Alusi al-Baghdadi, Ruh al-Ma’ani fi
Tafsir al-Coran al-’Azim wa’ l-Saba’ al-Mithani (Beirut: Dar al-Kutub
al-’Ilmiya, 2001), vol. 2, p. 118.
(18 ) Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam, pp. 11-2.
(19) Ibid., pp. 41-2.
(20) Ibn Qayyim, Tafsir, in Abd al-’Aziz bin Nasir al-Jalil, At-Tarbiya
al-Jihadiya fi Daw’ al-Kitab wa ‘s-Sunna (Riyahd: n. p., 2003), pp.
36-43.
(21) Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam, p. 20.
(22) Coran 2: 216.
(23) Yahya bin Sharaf ad-Din an-Nawawi, An-Nawawi’s Forty Hadiths, p. 16, accès au site, le 1er août, 2009.
(24) John Lyly, Euphues: The Anatomy of Wit (London, 1578), p. 236.
(25) Coran 8:39.
(26) Emile Tyan, The Encyclopedia of Islam (Leiden: Brill, 1960), vol. 2, s.v. « Djihad », pp. 538-40.
(27) David Bukay, « Peace or Jihad? Abrogation in Islam« ,
Middle East Quarterly, Fall 2007, pp. 3-11, f.n. 58; David S. Powers,
« The Exegetical Genre nasikh al-Coran wa-mansukhuhu », in Approaches to
the History of the Interpretation of the Coran, Andrew Rippin, ed.
(Oxford: Clarendon Press, 1988), pp. 130-1.
(28) Jalil, At-Tarbiya al-Jihadiya fi Daw’ al-Kitab wa ‘ s-Sunna, p. 7.
(29) Ibn Khaldun, The Muqadimmah. An Introduction to History, Franz Rosenthal, trad. (New York: Pantheon, 1958), vol. 1, p. 473.
(30) Hugh Kennedy, The Great Arab Conquests (Philadelphia: Da Capo, 2007), p. 112.
(31) « Saudi Legal Expert Basem Alem: We Have the Right to Wage Offensive Jihad to Impose Our Way of Life », TV Monitor, clip 2108, Middle East Media Research Institute, trad., mar. 26, 2009.
(32) « Egyptian Cleric Mahmoud Al-Masri Recommends Tricking Jews into Becoming Muslims, » TV Monitor, clip 2268, Middle East Media Research Institute, trans., Aug. 10, 2009.
(33) Denis MacEoin, « Tactical Hudna and Islamist Intolerance« , Middle East Quarterly, Summer 2008, pp. 39-48.
(34) Majid Khadduri, War and Peace in the Law of Islam (Baltimore: The Johns Hopkins Press, 1955), p. 220.
(35) Ahmad Mahmud Karima, Al-Jihad fi’l Islam: Dirasa Fiqhiya Muqarina, p. 461.
(36) Ibid., p. 469.
(37) Muhammad al-Bukhari, « Judgements (Ahkaam) » Sahih al-Bukhari, book 89, M. Muhsin Khan, trad., accès au site, le 22 juillet 2009.
(38) Michael Bonner, Jihad in Islamic History: Doctrines and Practice (Princeton: Woodstock Publishers, 2006), p. 148.
(39) Ahmed Akgündüz, « Why Did the Ottoman Sultans Not Make Hajj (Pilgrimage)? » accès au site, le 9 nov. 2009.
(40) Ahmad Ibn Naqib al-Misri, Reliance of the Traveller: A Classic
Manual of Islamic Sacred Law (Beltsville: Amana Publications, 1994), p.
605.
(41) Daniel Pipes, « Lessons from the Prophet Muhammad’s Diplomacy« , Middle East Quarterly, Sept. 1999, pp. 65-72.
(42) Arabinda Acharya, « Training in Terror« , IDSS Commentaries, Institute of Defence and Strategic Studies, Nanyang Technological University, Singapore, May 2, 2003.
(43) « Does hypocrite have a past tense?« , for clip of Osama bin Laden, accès au site, le 1er août, 2009.
(44) Ibrahim b. Muhammad al-Shahwan, et al., « Correspondence with Saudis: How We Can Coexist« , AmericanValues.org, connection du 28 juillet 2009.
(45) Ibrahim, The Al Qaeda Reader, p. 43.
(46) Steven Emerson, « Osama bin Laden’s Special Operations Man« , Journal of Counterterrorism and Security International, Sept. 1, 1998.
(47) Pour une liste des infiltrés dans les organisations américaines, voir Daniel Pipes, « Islamists Penetrate Western Security« , Mar. 9, 2008.
(48) Walid Phares, « North Carolina: Meet Taqiyya Jihad« , International Analyst Network, July 30, 2009.
(49) Coran 8:39.
(50) James Lorimer, The Institutes of the Law of Nations: A Treatise of
the Jural Relations of Separate Political Communities (Clark, N.J.: The
Lawbook Exchange, Ltd., 2005), p. 124.
http://blog.sami-aldeeb.com/2012/01/05/la-taqiyya-dissimulation-et-les-regles-de-la-guerre-islamique/#comment-38254
Middle East Quarterly, Hiver 2010
Translation of the original text: How Taqiyya Alters Islam’s Rules of War
Adaptation française: Jean Szlamowicz, pour debriefing.org
L’islam
doit apparaître aux non-musulmans comme une religion bien paradoxale.
D’un côté, on ne cesse de la présenter comme la religion de la paix et,
de l’autre, ses membres sont responsables de la majorité des actes
terroristes dans le monde. Les apologistes de l’islam soulignent que
cette foi se fonde sur une grande exigence éthique. Les autres
constatent qu’il s’agit d’une religion légaliste. La dualité des
critères de vérité et de fausseté dans l’islam révèle une nature
paradoxale : car si le Coran est contre les croyants qui trompent
d’autres croyants (en vertu du fait que « Allah ne guide pas celui qui
est outrancier et menteur » (1), la tromperie aux dépens des
non-musulmans, généralement appelée, en arabe, taqiyya, reçoit également
l’approbation coranique et fait partie des actes légalement permis aux
musulmans.
La tromperie musulmane peut être
considérée comme un moyen, qui manque, certes, de noblesse, au service
de la fin glorieuse que constitue l’hégémonie islamique de la chariah,
considérée comme favorable aux musulmans et aux non-musulmans. En ce
sens, il s’agit d’un mensonge altruiste, ce qui est autorisé. L’imam
Mahmoud al-Masri a récemment donné en exemple une histoire où un
musulman raconte un mensonge à un Juif pour le forcer à la conversion,
et dont il parle comme d’une « magnifique tromperie ».
La taqiyya a deux utilisations
principales. La plus connue consiste à masquer ses convictions
religieuses par crainte de persécutions. Il s’agit là de pratiques
historiques de la taqiyya au sein de la communauté chiite, dans tous les
cas où leurs rivaux sunnites étaient plus nombreux et constituaient une
menace. Inversement, les sunnites, loin d’être persécutés, ont toujours
pratiqué quand c’était possible une forme de taqiyya au service du
djihad contre les incroyants, faisant de la taqiyya une pratique non
plus seulement de dissimulation, mais de tromperie active. En fait, le
mensonge, qui a, dans l’islam, un fondement doctrinal, est souvent
présenté comme égal, et parfois supérieur, aux autres vertus guerrières
que sont le courage, la détermination, ou le sacrifice.
On pourra se demander comment il se fait
que les musulmans soient à la fois exhortés à la sincérité et
encouragés à la tromperie, et que cette dernière soit non seulement
dominante mais bénéficie aussi de l’approbation divine.
Qu’est-ce au juste que la taqiyya?
Comment les théologiens, ainsi que ceux qui en font usage, la
justifient-ils ? Comment s’inscrit-elle dans l’éthique islamique,
notamment dans son rapport avec les non-musulmans ? Et, plus
précisément, quelles sont les implications de la taqiyya pour toutes les
relations entre musulmans et non-musulmans ?
La doctrine de la Taqiyya
Selon la charia, c’est-à-dire l’ensemble
des règles qui définissent le comportement d’un musulman dans toutes
les circonstances de la vie, la tromperie est non seulement permise dans
certaines circonstances mais peut être considérée comme obligatoire.
Contrairement à la tradition chrétienne primitive, les musulmans
contraints de choisir entre reniement de l’islam et persécution avaient
la permission de mentir et de feindre l’apostasie. D’autres juristes ont
décrété que les musulmans étaient obligés de mentir afin de se
préserver (2), en se fondant sur les versets coraniques qui interdisent
aux musulmans de concourir à leur propre mort (3).
Telle est la définition classique de la
taqiyya. Construit sur un mot arabe connotant la crainte, le terme de
taqiyya passe (notamment auprès des chercheurs occidentaux) pour une
stratégie à laquelle on peut avoir recours en cas de persécution
religieuse, ainsi que les groupes minoritaires chiites l’ont fait quand
ils vivaient au sein de majorité sunnites hostiles (4). La taqiyya a
ainsi permis fréquemment aux chiites de masquer leur appartenance
religieuse face aux sunnites, non seulement en remisant leurs
convictions religieuses à la clandestinité, mais en priant et en se
comportant comme des sunnites.
Cependant, l’un des rares ouvrages
consacrés à ce sujet, At-Taqiyya fi’l-Islam (« De la dissimulation dans
l’islam ») dit clairement que la taqiyya ne se limite pas à la
dissimulation par crainte de persécutions. Son auteur, Sami Mukaram,
ancien professeur d’études islamiques à l’niversité américaine de
Beyrouth, qui a écrit environ vingt-cinq ouvrages sur l’islam, démontre
clairement la variété des applications de la taqiyya :
« La taqiyya est d’une importance
fondamentale dans l’islam. Pratiquement toutes les factions islamiques
la reconnaissent et la pratiquent (…) On peut même dire que la pratique
de la taqiyya fait partie de la norme de l’islam, et que les rares
factions qui ne la pratiquent pas sont justement en dehors de la norme
musulmane. La taqiyya est dominante dans la politique islamique, en
particulier durant la période moderne » (5).
La taqiyya n’est donc pas, comme on le
suppose souvent, un phénomène exclusivement chiite. Bien sûr, en tant
que minorité dispersée au sein de communautés sunnites ennemies, les
chiites ont historiquement plus de raisons de pratiquer la
dissimulation. Inversement, l’islam sunnite ayant rapidement dominé de
vastes empires, de l’Espagne à la Chine, ses membres ne devaient rien à
personne et n’eurent pas à faire allégeance à d’autres, ni à se cacher
face à des incroyants infidèles (l’Espagne et le Portugal de la
Reconquista sont les rares exceptions où les sunnites ont dissimulé leur
identité religieuse (6)). Ironiquement, les sunnites qui vivent en
Occident se trouvent désormais dans la situation qui était celle des
chiites, puisqu’ils vivent comme une minorité encerclée par ses ennemis
traditionnels, les chrétiens infidèles. Ces derniers, à la différence
des chrétiens de la Reconquista, se comportent rarement en adéquation
avec cette inimitié historique, et la reconnaissent encore moins. En
fait, les sunnites se retrouvent dans les circonstances générales qui
ont fait de la taqiyya un élément important du chiisme mais sans risquer
la menace physique qui en avait été initialement la source.
Les formulations de la taqiyya
Le verset 3:28 du Coran est souvent considéré comme le premier qui admet la tromperie envers les non-musulmans :
« Que les croyants ne prennent pas pour
alliés des infidèles au lieu de croyants. Quiconque le fait contredit la
religion d’Allah, à moins que vous ne cherchiez à vous protéger d’eux »
(7).
Muhammad ibn Jarir at-Tabari (mort en 923), auteur d’un commentaire du Coran, qui fait autorité, explique ainsi le verset 3:28 :
« Si vous [les musulmans] êtes sous
l’autorité de non-musulmans et craignez pour vous-mêmes, conduisez-vous
avec une apparence de loyauté envers eux, par la parole, tout en
conservant votre hostilité à leur égard par devers vous (…) [sachez que]
Allah a interdit aux croyants de se montrer amical ou intime avec les
infidèles, sauf si les infidèles les dominent. Dans ce cas précis,
qu’ils se comportent amicalement avec eux tout en préservant leur
religion » (8 ).
Toujours à propos de ce verset du Coran, Ibn Kathir (mort en 1373), qui est une autre grande autorité coranique, écrit :
« Quel que soit le lieu ou le moment,
quiconque craint des tourments [venant de non-musulmans] peut se
protéger en donnant le change ».
Il en veut pour preuve une citation
d’Abu Darda, proche compagnon de Mahomet, enjoignant d’« arborer un
large sourire face à certaines personnes tandis que notre cœur les
maudit ». Un autre compagnon, connu sous le nom d’Al-Hasan, a dit que «
la pratique de la taqiyya est acceptable jusqu’au jour du jugement »
(c’est-à-dire jusqu’à la fin des temps) (9).
D’autres savants importants, comme Abu
‘Abdullah al-Qurtubi (1214-73) et Muhyi ‘d-Din ibn al-Arabi (1165-1240),
ont étendu la taqiyya jusqu’à l’appliquer à de nombreuses actions. En
d’autres termes, les musulmans peuvent se conduire comme des infidèles
ou même pire, par exemple en se prosternant et en adorant des idoles et
des croix, en portant de faux témoignages, ou même en montrant les
faiblesses d’autres musulmans à l’ennemi infidèle — tout est permis sauf
tuer un autre musulman :
« la taqiyya, même si elle est pratiquée
sans contrainte, ne mène pas à un statut d’infidèle, même si elle peut
mener à des péchés méritant le feu de l’enfer » (10).
La tromperie dans les exploits guerriers de Mahomet
Mahomet — qui constitue [pour le
musulman] l’exemple de l’être humain parfait, dont la conduite doit être
imitée dans les moindres détails — avait une conception pragmatique du
mensonge. Il est notamment bien connu qu’il permettait de mentir dans
trois situations : pour réconcilier entre deux parties, ou plus, qui
sont en conflit, pour calmer sa femme, et à la guerre (11). Selon un
manuel de droit arabe consacré au djihad tel qu’il est défini par les
quatre écoles du droit islamique,
« les ulémas [savants] considèrent que
la tromperie en temps de guerre est légitime (…) la tromperie est une
forme de l’art de la guerre » (12).
De plus, selon Mukaram, cette tromperie est classée comme taqiyya:
« la taqiyya servant à duper l’ennemi est permise » (13).
Plusieurs ulémas estiment que la tromperie fait partie intégrante de l’art de la guerre. Ibn al-’Arabi déclare, par exemple :
« dans les hadiths [citations et actions
de Mahomet], le mensonge en temps de guerre est bien attesté. En fait,
le mensonge est davantage souligné que l’obligation de courage ».
Ibn al-Munir (mort en 1333) écrit :
« La guerre est tromperie, la guerre la
plus parfaite qu’un saint guerrier puisse faire est une guerre de
tromperie et non de confrontation, car la confrontation comporte des
risques, tandis que l’on peut obtenir la victoire par traîtrise et sans
risque pour soi ».
Quant à Ibn Hajar (mort en 1448), il conseille aux musulmans d’adopter
« une attitude très prudente dans la
guerre, tout en se lamentant [publiquement] et en portant le deuil de
manière à tromper les infidèles » (14).
Cette conception musulmane de la guerre
comme tromperie renvoie à la bataille du Fossé (627), qui opposa Mahomet
et ses disciples à plusieurs tribus non musulmanes, connues sous le nom
de Al-Ahzab. Parmi ces derniers, Na’im ibn Mas’ud se rendit dans le
camp musulman et se convertit à l’islam. Quand Mahomet s’aperçut que les
Ahzab n’étaient pas au courant de la conversion de Mas’ud, il lui
conseilla de retourner auprès d’eux et de les décider à lever le siège.
C’est à cette occasion que Mahomet est censé avoir émis l’adage célèbre,
« car la guerre est tromperie ». Mas’ud retourna auprès des Ahzab sans
qu’ils sachent qu’il avait changé de camp et, de son côté, il donna des
informations fausses à ses anciens amis et alliés. Il s’efforça
également de générer des querelles entre les différentes tribus jusqu’à
ce que, pleines de méfiance les unes envers les autres, elles finissent
par se séparer et lever le siège, sauvant ainsi les musulmans de la
destruction dans cette période encore embryonnaire [de l'islam] (15).
Plus récemment, des complices de
l’attentat du 11-Septembre, tel Khalid Sheikh Muhammad, ont invoqué,
dans leur défense, comme raison de leur rôle dans la conspiration,
l’argument du prophète selon lequel « la guerre est tromperie ».
On trouve une autre expression encore
plus puissante de la légitimité qu’il y a à tromper des infidèles, dans
l’anecdote suivante. Un poète, Ka’b ibn Ashraf, avait offensé Mahomet,
lequel s’était exclamé « Qui tuera cet homme qui a blessé Allah et son
prophète ? ». Un jeune musulman nommé Muhammad ibn Maslama s’était porté
volontaire, à condition que pour s’approcher de Ka’b afin de
l’assassiner, il ait la permission de lui mentir. Mahomet lui donna son
accord. Ibn Maslama alla voir Ka’b et commença à dire du mal de l’islam
et de Mahomet. Il continua ainsi jusqu’à ce que ses paroles soient assez
convaincantes pour que Ka’b se fie à lui. Ibn Maslama ne tarda pas
alors à se présenter avec un autre musulman et à tuer Ka’b qui ne se
méfiait plus (16).
Mahomet a pris d’autres positions qui font de la tromperie une action positive, comme lorsqu’il dit :
« Allah m’a commandé de parler de façon
équivoque parmi les peuples, au même titre qu’il m’a commandé d’édicter
des obligations [religieuses] » ;
ou encore :
« J’ai été envoyé dans des conditions impénétrables »,
et
« celui qui vit dans la dissimulation meurt en martyr » (17).
Bref, les premières sources historiques
de l’islam attestent clairement de l’importance suprême de la taqiyya
comme d’une forme islamique de guerre. De plus, les premiers musulmans
sont souvent décrits comme capables de se sortir de situations
difficiles grâce au mensonge, notamment en reniant ou en insultant
l’islam et Mahomet avec l’approbation de ce dernier – son seul critère
étant que leurs intentions (niya) soient pures (18). Au cours des
guerres contre les chrétiens, à chaque fois que les chrétiens avaient le
pouvoir, la pratique de la taqiyya devint même plus totale. Ainsi que
l’affirme Mukaram :
« la taqiyya était utilisée comme un
moyen, pour les musulmans, de repousser le danger, en particulier aux
moments critiques où leurs frontières étaient l’objet de guerre avec les
Byzantins, et, plus tard, l’objet des raids [croisades] des Francs et
des autres » (19).
La taqiyya dans la révélation coranique
Le Coran lui-même apporte d’autres
témoignages concernant la taqiyya. Puisque Allah est censé être la
source de ces versets révélés, il est considéré comme étant Lui-même
implicitement le perpétrateur absolu du mensonge, ce qui n’a rien de
surprenant puisque il est décrit dans le Coran comme étant le meilleur
makar, c’est-à-dire fourbe, trompeur (par exemple : 3:54, 8:30, 10:21).
Alors que les autres Ecritures saintes
contiennent des contradictions, le Coran est le seul texte à propos
duquel les commentateurs ont développé une doctrine pour rendre compte
des changements visibles d’une injonction à une autre. Un lecteur
attentif ne peut manquer de remarquer les versets contradictoires du
Coran, notamment la façon dont les versets de paix et de tolérance se
retrouvent quasiment côte à côte avec des versets de violence et
d’intolérance. Les ulémas furent embarrassés, au départ, pour décider à
partir de quels versets codifier l’ordre social de la chariah : celui
qui affirme que la religion ne peut exercer de coercition (2:256), ou
celui qui ordonne aux croyants de combattre tous les non-musulmans
jusqu’à leur conversion, ou au moins leur soumission à l’islam (8:39,
9:5, 9:29) ? Pour résoudre ce dilemme, les commentateurs ont développé
la doctrine de l’abrogation, qui, en gros, stipule, quand il y a
contradiction, que les versets révélés à Mahomet tardivement prennent le
pas sur ceux formulés au début de sa vie. C’est ainsi que, pour
déterminer quel verset abroge quel autre, une science théologique
consacrée à la chronologie des versets du Coran a été créée (on
l’appelle an-Nasikh wa’l Mansukh – ce qui abroge et ce qui est abrogé).
Mais pourquoi y aurait-il une
contradiction ? La réponse classique est que, dans les premières années
de l’islam, Mahomet et sa communauté étant largement inférieurs en
nombre aux infidèles avec lesquels ils étaient en concurrence et qui
vivaient avec eux à la Mecque, un message de coexistence pacifique était
de rigueur. Cependant, après l’exil des musulmans à Médine, en 622, et
le développement de leur force guerrière, les versets les incitant à
l’offensive leur furent progressivement « révélés », c’est-à-dire en
principe envoyés par Allah, à mesure que la puissance des musulmans
augmentait. Dans les textes juridiques, ces versets sont classés en
différentes catégories : passivité face à l’agression ; permission de
répliquer face à des agresseurs ; commandement incitant à combattre les
agresseurs ; commandement incitant à combattre tous les non-musulmans
qu’ils aient été initialement agresseurs ou pas (20). Le développement
de la puissance musulmane est la seule variable fournie pour expliquer
ces changements graduels de politique.
D’autres érudits renforcent cette
conception en soulignant que sur une période de 22 ans, le Coran a été
révélé petit à petit et a d’abord privilégié des versets ne réclamant
pas d’action et restant de nature spirituelle avant de passer ensuite à
des prescriptions et des injonctions réclamant de diffuser la foi par le
djihad et la conquête, et ce de manière à ne pas rebuter les premiers
convertis musulmans face aux devoirs qui sont ceux de l’islam, et éviter
qu’ils ne soient découragés par les obligations importantes qui
n’apparaîtront que dans les versets plus tardifs (21). Ces versets – tel
celui qui dit : « Il vous est prescrit de combattre, même si cette
prescription, vous l’avez en horreur » (22), auraient été déplacés à un
moment où la guerre n’était pas pensable.
Quelles que soient les interprétations
de l’abrogation dans le Coran, l’opinion commune sur la question des
versets concernant la guerre et la paix est que, quand les musulmans
sont en position de faiblesse, ou minoritaires, ils doivent prêcher et
être fidèles à l’éthique des versets mecquois (paix et tolérance) ;
alors que, lorsqu’ils sont en position de force, ils doivent passer à
l’offensive sur la base des commandements figurant dans les versets de
Médine (guerre et conquête). Les avatars de l’histoire islamique
témoignent de cette dichotomie et se reflètent dans le proverbe
communément admis parmi les musulmans et qui se fonde sur un hadith,
selon lequel le djihad doit être réalisé par la main (par la force), ou
sinon, par la langue (par le prêche), et si cela n’est pas possible, par
le cœur ou par les intentions secrètes de chacun (23).
La guerre est éternelle
Que l’islam légitime la tromperie dans
le cadre de la guerre n’a, bien sûr, rien d’étonnant. Après tout, comme
l’a formulé un auteur élizabéthain, John Lyly, « tout est bon, en amour
comme à la guerre » (24). D’autres philosophes ou stratèges non
musulmans, comme Sun Tzu, Machiavel et Thomas Hobbes, ont justifié la
tromperie dans la guerre. Tromper l’ennemi dans le cadre de la guerre
relève du bon sens. La différence cruciale avec l’islam, c’est que la
guerre contre l’infidèle est considérée comme permanente, et dure, selon
le Coran, jusqu’à ce que « cesse tout chaos et que toutes les religions
appartiennent à Allah » (25). Dans son article sur le djihad de
l’Encyclopaedia of Islam, Emile Tyan remarque :
« le devoir de jihad existe aussi
longtemps que la domination universelle de l’islam n’a pas été atteinte.
La paix avec les nations non musulmanes n’est donc que provisoire, et
seul le hasard des circonstances peut la justifier de manière provisoire
» (26).
De plus, et pour en revenir à la
doctrine de l’abrogation, des érudits musulmans comme Ibn Salama (mort
en 1020) s’accordent pour dire que le verset 9:5 du Coran, connu sous le
nom de ayat as-sayf, ou verset du sabre, abroge environ 124 des versets
mecquois plus pacifistes, car cela inclut « tous les versets coraniques
qui prêchent autre chose qu’une offensive totale contre les
non-croyants » (27). En fait, les quatre écoles de la jurisprudence
sunnite sont d’accord pour dire que
« le djihad consiste à faire la guerre
aux infidèles qui, après qu’on leur ait enjoint d’embrasser l’islam, ou
au moins de payer une [jizya] et de vivre soumis, ont refusé de le faire
» (28).
Le caractère obligatoire du djihad est
clairement exprimé par la vision du monde dichotomique qui oppose le «
royaume de l’islam » au « royaume de la guerre ». Le premier s’appelle,
dar al-Islam, ou « règne de la soumission », et représente le monde où
domine la chariah. Le second, dar al-Harb, ou règne de la guerre,
représente le monde non-islamique. Le combat se perpétue jusqu’à ce que
le règne de l’islam engloutisse le monde non-islamique. Cet état de fait
est celui qui existe encore aujourd’hui. Le très célèbre historien et
philosophe musulman, Ibn Khaldun, (mort en 1406) formule clairement
cette opposition :
« Dans la communauté musulmane, le
djihad est un devoir religieux en raison de l’universalisme de la
mission musulmane et de l’obligation de convertir tout le monde à
l’islam par la persuasion ou par la force. Les autres groupes religieux
n’avaient pas une mission universelle et le djihad n’était pas un devoir
religieux pour eux, excepté pour des raisons défensives. Mais l’islam
est obligé de conquérir le pouvoir contre les autres nations » (29).
Enfin, indépendamment de tous les faits
avérés, il est bon de noter — à moins qu’on puisse encore trouver
déraisonnable qu’une foi ayant un milliard d’adeptes oblige à déclencher
en son nom des guerres sans raison — que l’expansionnisme djihadiste
est considéré comme un acte altruiste, un peu à la manière de
l’idéologie du « fardeau de l’homme blanc » au XIXe siècle. Selon cette
logique, que le monde vive en démocratie sous le socialisme, le
communisme ou tout autre système de gouvernance, il vit inévitablement
enchaîné dans le péché, car le bien suprême de l’humanité réside dans
l’accord avec la loi d’Allah. Dans ce contexte, la tromperie musulmane
peut être considérée comme un moyen, légèrement inférieur en noblesse,
dans un but glorieux : l’hégémonie islamique du règne de la chariah, en
tant qu’elle est bonne pour tous, musulmans comme non-musulmans.
Cette conception n’a en fait rien de
neuf. Peu après la mort de Mahomet, en 634, avec la déferlante de
guerriers du djihad, venue de la péninsule arabique, un commandant
perse, qui ne devait pas tarder à succomber à l’invasion, demanda aux
musulmans ce qu’ils désiraient. La réponse – mémorable – fut la suivante
:
« Allah nous a envoyés ici afin que nous
puissions libérer ceux qui le désirent de la servitude de leurs maîtres
terrestres et en faire les serviteurs d’Allah, afin de transformer leur
misère en richesse et les libérer de la tyrannie et du chaos des
[fausses] religions et leur apporter la justice de l’islam. Il nous a
envoyés pour apporter sa religion à toutes ses créatures et leur lancer
un appel pour qu’ils rejoignent l’islam. Tous ceux qui accepteront cet
appel seront saufs et nous les laisserons en paix. Mais quiconque refuse
cet appel sera combattu jusqu’à ce que nous accomplissions la promesse
d’Allah » (30).
Mille quatre-cent ans plus tard, en mars 2009, le juriste saoudien, Basem Alem, se fit l’écho de cette conception :
« En tant que membre de la vraie
religion, j’ai davantage de droit à envahir les autres afin d’imposer un
certain mode de vie [la chariah], dont l’histoire a démontré qu’il
était le meilleur et le plus juste parmi toutes les civilisations. Tel
est le véritable sens du djihad offensif. Quand nous nous engageons dans
le djihad, ce n’est pas pour convertir les gens à l’islam, mais pour
les libérer du sombre esclavage dans lequel ils vivent » (31).
Et il va sans dire que la taqiyya au
service d’un tel altruisme est permise. Par exemple, très récemment,
après avoir raconté une histoire où un musulman force un Juif à se
convertir à l’islam en lui disant que s’il renonçait à l’islam, les
musulmans le tueraient pour apostasie, l’imam Mahmoud al-Masri a parlé
d’une « magnifique tromperie » (32). Après tout, d’un point de vue
islamique, c’est le Juif qui a été le bénéficiaire de cette tromperie
puisqu’elle l’a fait entrer dans l’islam.
Trèves et traités
La nature perpétuelle du djihad est
soulignée par le fait, soutenu par les juristes, que 10 ans est la durée
maximale de paix pour les musulmans avec les infidèles. Une fois que le
traité a expiré, la situation doit être réévaluée. Ils s’appuient sur
le traité de paix d’Hudaybiya ratifié en 628 par Mahomet et ses ennemis
Quraysh à la Mecque. L’exemple de Mahomet qui brisa ce traité au bout de
deux ans (en prétextant une infraction des Quraysh) montre que la seule
fonction d’une trève est de permettre aux musulmans s’ils sont
affaiblis de gagner du temps et de se regrouper avant une nouvelle
offensive (33) :
« Par leur nature même, les traités
doivent avoir une durée temporaire, car, dans la théorie juridique
musulmane, les relations normales entre territoires musulmans et
non-musulmans ne sont pas pacifiques mais guerrières » (34).
En se fondant sur ce point,
« les fuqaha [juristes] sont d’accord
pour considérer une trève illimitée comme illégitime, si les musulmans
sont en position assez forte pour repartir en guerre contre les
non-musulmans » (35).
Bien que la chariah demande aux
musulmans d’honorer les traités, il existe donc une sortie possible qui
est propice aux abus : si les musulmans pensent, même sans preuves
solides, que leurs ennemis vont rompre le traité, ils peuvent le briser
les premiers. De plus, certaines écoles de droit islamique, comme celle
des Hanafites, affirment que les responsables musulmans peuvent abroger
les traités tout simplement si cela semble être à l’avantage de l’islam
(36). Cela n’est pas sans rappeler le hadith canonique suivant :
« si tu fais serment de procéder à une
action et que tu te rends compte, plus tard, qu’une autre action est
meilleure, alors tu devras renier ton serment et faire ce qui est mieux »
(37).
Et qu’y a-t-il de mieux et de plus
altruiste que de rendre la parole d’Allah dominante en déclenchant à
nouveau le djihad dès que possible ? Traditionnellement, les dirigeants
musulmans lançaient un djihad au moins une fois par an. Ce rite est
particulièrement remarquable chez les sultans ottomans, qui passaient la
moitié de leur vie sur le champ de bataille (38). Le devoir de djihad
était tellement important, que les sultans n’avaient pas le droit
d’effectuer le pèlerinage à la Mecque – qui est pourtant un devoir
individuel pour chaque musulman. C’est leur prise en main du djihad qui a
permis à ce rite collectif de perdurer, autrement, il serait tombé en
désuétude (39).
Pour résumer, le prérequis pour la paix
ou la réconciliation est que les musulmans aient l’avantage. C’est ce
que démontre un texte sunnite qui fait autorité, Umdat as-Salik, écrit
par un érudit égyptien du XIVe siècle, Ahmad Ibn Naqib al-Misri :
« On doit trouver un bénéfice [maslaha] à la trève, autre que le seul status quo, car [il est écrit] :
« Ne soyez pas pusillanimes en offrant la paix à l’ennemi quand vous êtes les plus forts ! » [Coran, 47] » (41).
On rappellera un épisode plus récent, et
qui est d’une importance majeure pour les dirigeants occidentaux qui
recommandent la coopération avec les islamistes. Yasser Arafat venait de
négocier un traité de paix qui avait été vivement critiqué comme
concédant trop de choses à Israël. Il s’adressa alors à une assemblée
musulmane dans une mosquée de Johannesburg, et se justifia en ces termes
:
« Je considère cet accord au même titre
que l’accord signé par notre prophète Mahomet et les [Banei] Quraysh de
la Mecque » (42). En d’autres termes, comme Mahomet, Arafat n’avait
donné sa parole que pour la renier une fois que la situation le
permettrait, c’est-à-dire quand les Palestiniens seraient à nouveau en
position de passer à l’offensive et de reprendre la route de Jérusalem.
Dans d’autres contextes, Hudaybiya a fait figure de mot-clé pour les
islamistes radicaux. Le Moro Islamic Liberation Front avait trois camps
d’entraînement au sein du complexe d’Abu Bakar dans les Philippines et
l’un d’eux s’appelait Camp Hudaybiya (43).
L’hostilité sous les traits de la récrimination
Dans les discours à destination des
opinions publiques européennes ou américaines, les islamistes
soutiennent que le terrorisme qu’ils exercent contre l’Occident n’est
que la réciprocité de décennies d’oppression occidentale ou israélienne.
Mais dans les écrits qui s’adressent aux autres musulmans, cet esprit
vindicatif n’est pas présenté comme la réaction à une provocation
militaire ou politique, mais comme le produit d’une obligation
religieuse.
Par exemple, quand il s’adresse au
public occidental, Ousama ben Laden dresse la liste des récriminations
qui justifient sa guerre contre l’Occident, depuis l’oppression des
Palestiniens jusqu’à l’exploitation de la femme par l’Occident, ou même
le fait que les Etats-Unis n’ont pas signé le protocole de Kyoto, ce qui
constitue des arguments audibles pour l’opinion occidentale. Jamais il
ne justifie les attaques d’Al-Qaïda contre les cibles occidentales par
le simple fait que les nations non musulmanes sont par définition des
entités infidèles qui doivent être soumises. En fait, il va jusqu’à
faire précéder ses messages à destination de l’Occident de phrases comme
« la réciprocité fait partie de la justice », ou « paix à tous ceux qui
suivent une voie droite » (43), même si ce que le public occidental
comprend par là est sans rapport avec ce qu’il met derrière les mots «
paix », « justice » ou « droiture ».
C’est quand Ben Laden s’adresse aux
autres musulmans que la vérité ressort. Quand un groupe de musulmans de
premier plan avait écrit au peuple américain, peu de temps après les
attentats du 11-Septembre, pour affirmer que l’islam cherche à coexister
pacifiquement (44), Ben Laden avait pris la plume pour les remettre à
leur place :
« En ce qui concerne les relations entre
musulmans et infidèles, elles sont résumées par ce mot du Très-Haut :
‘Nous vous renions, et désormais l’inimitié et la haine nous séparent
jusqu’à ce que vous croyiez en Allah seul » [Coran 60]. Il y a donc
une inimitié dont la preuve est l’hostilité farouche ancrée dans nos
cœurs. Et cette hostilité farouche, c’est-à-dire cette guerre, ne
cessera que si l’infidèle se soumet à l’autorité de l’islam ou qu’il est
interdit de faire couler son sang [c'est-à-dire s'il est dhimmi, ou
minorité protégée], ou si les musulmans sont, à un moment donné, dans
une situation de faiblesse qui les empêche d’agir. Mais si la haine
s’éteint de nos cœurs, il s’agit alors d’une très grande apostasie ! (…)
Telle est la base et le fondement des relations entre l’infidèle et le
musulman. Guerre, animosité, haine, infligées par le musulman à
l’infidèle, tel est le fondement de notre religion. Et nous considérons
que nous faisons ainsi un acte de justice et de bonté à leur égard »
(45).
Les quatre écoles classiques de
jurisprudence islamique soutiennent cette conception du monde, faite
d’hostilité, en parlant des infidèles en termes similaires. Quand Ben
Laden s’adresse à l’Occident en parlant de paix et de justice, ce sont
des exemples typiques de taqiyya. Non seulement il s’est engagé dans un
djihad physique, mais aussi dans une guerre de propagande, ou, en
d’autres termes, une guerre de tromperie. S’il parvient à convaincre
l’Occident que le conflit actuel est entièrement dû à l’Occident, il
pourra gagner à sa cause une plus grande sympathie. Parallèlement, il
sait que si les Américains se rendaient compte que rien hormis leur
totale soumission ne peut ramener la paix, sa campagne de propagande
serait rapidement compromise. D’où ce besoin constant de masquer ses
objectifs et de mettre en avant des récriminations, car, comme le dit le
prophète de Ben Laden, « la guerre est tromperie ».
Implications
La taqiyya pose un ensemble de problèmes
éthiques. Quiconque croit véritablement que Allah justifie, et même,
par l’exemple de son prophète, encourage la tromperie, n’aura aucun
scrupule éthique à mentir. Prenons le cas d’Ali Muhammad, le premier «
formateur » de Ben Laden et longtemps agent d’Al-Qaïda. Egyptien, il a
d’abord fait partie du Jihad Islamique et a servi dans le renseignement
militaire de l’armée égyptenne. Après 1984, il a travaillé un temps avec
la CIA en Allemagne. Quoique considéré comme peu fiable, il a réussi à
aller en Californie, où il s’est enrôlé dans l’armée américaine. Il est
vraisemblable qu’il a continué à travailler, à un titre ou un autre,
pour la CIA. Il a ensuite entraîné des djihadistes aux Etats-Unis et en
Afghanistan et est responsable de plusieurs opérations terroristes en
Afrique. Les gens qui le connaissaient avaient pour lui
« de la crainte et du respect pour son
incroyable assurance, l’impossibilité qu’il avait d’être intimidé, la
détermination absolue qu’il avait de détruire les ennemis de l’islam, et
sa foi zélée dans les credos du militantisme islamique fondamentaliste »
(46).
De fait, cette phrase résume tout : car
une croyance zélée aux fondements de l’islam, qui légitime la tromperie
pour faire triompher la parole d’Allah, aura sans nul doute un impact
considérable sur la capacité à développer cette « incroyable assurance »
pour mentir (47).
Poutant, la plupart des Occidentaux
continuent de croire que les mœurs, les lois et les contraintes éthiques
musulmanes sont à peu près identiques à celles de la tradition
judéo-chrétienne. Avec naïveté ou arrogance, les grands avocats du
multiculturalisme projettent leur propre conception du monde sur les
islamistes et pensent qu’une poignée de main et un sourire autour d’une
tasse de café, assortis de nombreuses concessions suffiront pour
démanteler la puissance de la parole de Dieu et des siècles de tradition
immuable. Les faits sont têtus : le bien et le mal dans l’islam ont peu
à voir avec les critères universels et restent fonction des
enseignements propres à l’islam, dont la majeure partie est en
opposition totale avec les normes occidentales.
Il faut donc admettre, en contradiction
avec des croyances savantes depuis longtemps établies, que, chez les
musulmans, la doctrine de la taqiyya va bien plus loin que la seule
dissimulation religieuse afin de préserver son existence et concerne le
fait de tromper l’ennemi infidèle de manière plus large. La taqiyya
étant une seconde nature du chiisme, ce phénomène devrait apporter un
contexte éloquent au zèle chiite iranien pour se procurer la puissance
nucléaire, tout en insistant sur ses objectifs pacifistes.
La taqiyya ne concerne pas seulement les
affaires internationales. Walid Phares, de la National Defense
University, s’est déjà plaint de voir des islamistes américains actifs
sur le sol américain, et ce sans la moindre entrave, grâce à leur
utilisation de la taqiyya :
« Est-ce que notre gouvernement est au
courant de cette doctrine et, ce qui est encore plus important, est-ce
que les autorités font quelque chose pour que notre système de défense
s’adapte à cette menace dormante et invisible qui se développe en notre
propre sein ? » (48).
A la lumière du massacre de Fort Hood,
quand Nidal Malik Hasan – musulman américain qui montrait de nombreux
signes d’islamisme, qui n’ont pas été pris au sérieux – a tué treize de
ses collègues, il faut bien malheureusement répondre par la négative.
Le problème est donc le suivant. La loi
islamique divise sans aucune ambiguïté le monde en deux parties
perpétuellement en guerre — le monde islamique et le monde non islamique
— et il considère que la volonté divine est de voir le premier vaincre
le second. Si la guerre contre l’infidèle est un état perpétuel, si la
guerre est dissimulation et que la fin justifie les moyens, un certain
nombre de musulmans concluront naturellement qu’ils ont le droit —
d’origine divine — de mentir, tant que c’est utile, selon eux, pour
aider l’islam « jusqu’à ce que le chaos cesse et que toutes les
religions appartiennent à Allah » (49).
De plus, une telle dissimulation sera
considérée comme le moyen d’une fin altruiste. Les ouvertures au
dialogue et à la paix ou même à des trèves temporaires doivent être
envisagées en fonction de cette doctrine, ce qui n’est pas sans rappeler
les observations pratiques faites par le philosophe James Lorimer, il y
a plus d’un siècle :
« Tant que l’islam continue d’exister,
la réconciliation de ses partisans, même avec les Juifs et les
chrétiens, et plus encore avec le reste de l’humanité, restera un
problème insoluble » (50).
On peut conclure que face à l’opposition
naturelle entre guerre et paix, qui existe dans le cadre occidental, il
est plus approprié de parler d’une opposition entre guerre et
dissimulation dans le cadre islamique. Car, selon le point de vue
islamique, les périodes de paix, qui n’ont lieu que quand l’islam est
plus faible que ses rivaux infidèles, sont des périodes de paix simulée
et de dissimulation, bref de taqiyya.
Notes
(1) Coran 40:28.
(2) Fakhr ad-Din ar-Razi, At-Tafsir al-Kabir (Beirut: Dar al-Kutub al-’Ilmiya, 2000), vol. 10, p. 98.
(3) Coran 2:195, 4:29.
(4) Paul E. Walker, The Oxford Encyclopedia of Islam in the Modern
World, John Esposito, ed. (New York: Oxford University Press, 2001),
vol. 4, s.v. « Taqiyah, » pp. 186-7; Ibn Babuyah, A Shi’ite Creed, A. A.
A. Fyzee, trans. (London: n. p., 1942), pp. 110-2; Etan Kohlberg,
« Some Imami-Shi’i Views on Taqiyya, » Journal of the American Oriental
Society, 95 (1975): 395-402.
(5) Sami Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam (London: Mu’assisat at-Turath ad-Druzi, 2004), p. 7.
(6) Devin Stewart, « Islam in Spain after the Reconquista« , Emory University, p. 2, accès au site, le 27 nov. 2009.
(7) Voir aussi Coran 2:173, 2:185, 4:29, 16:106, 22:78, 40:28, versets
cités par les juristes musulmans comme légitimant la taqiyya.
(8 ) Abu Ja’far Muhammad at-Tabari, Jami’ al-Bayan ‘an ta’wil ayi’l-Coran
al-Ma’ruf: Tafsir at-Tabari (Beirut: Dar Ihya’ at-Turath al-’Arabi,
2001), vol. 3, p. 267.
(9) ‘Imad ad-Din Isma’il Ibn Kathir, Tafsir al-Coran al-Karim (Beirut: Dar al-Kutub al-’Ilmiya, 2001), vol. 1, p. 350.
(10) Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam, pp. 30-7.
(11) Imam Muslim, « Kitab al-Birr wa’s-Salat, Bab Tahrim al-Kidhb wa
Bayan al-Mubih Minhu, » Sahih Muslim, rev. ed., Abdul Hamid Siddiqi,
trad. (New Delhi: Kitab Bhavan, 2000).
(12) Ahmad Mahmud Karima, Al-Jihad fi’l Islam: Dirasa Fiqhiya Muqarina (Cairo: Al-Azhar, 2003), p. 304.
(13) Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam, p. 32.
(14) Raymond Ibrahim, The Al Qaeda Reader (New York: Doubleday, 2007), pp. 142-3.
(15) Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam, pp. 32-3.
(16) Ibn Ishaq, The Life of Muhammad (Karachi: Oxford University Press, 1997), pp. 367-8.
(17) Shihab ad-Din Muhammad al-Alusi al-Baghdadi, Ruh al-Ma’ani fi
Tafsir al-Coran al-’Azim wa’ l-Saba’ al-Mithani (Beirut: Dar al-Kutub
al-’Ilmiya, 2001), vol. 2, p. 118.
(18 ) Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam, pp. 11-2.
(19) Ibid., pp. 41-2.
(20) Ibn Qayyim, Tafsir, in Abd al-’Aziz bin Nasir al-Jalil, At-Tarbiya
al-Jihadiya fi Daw’ al-Kitab wa ‘s-Sunna (Riyahd: n. p., 2003), pp.
36-43.
(21) Mukaram, At-Taqiyya fi ‘l-Islam, p. 20.
(22) Coran 2: 216.
(23) Yahya bin Sharaf ad-Din an-Nawawi, An-Nawawi’s Forty Hadiths, p. 16, accès au site, le 1er août, 2009.
(24) John Lyly, Euphues: The Anatomy of Wit (London, 1578), p. 236.
(25) Coran 8:39.
(26) Emile Tyan, The Encyclopedia of Islam (Leiden: Brill, 1960), vol. 2, s.v. « Djihad », pp. 538-40.
(27) David Bukay, « Peace or Jihad? Abrogation in Islam« ,
Middle East Quarterly, Fall 2007, pp. 3-11, f.n. 58; David S. Powers,
« The Exegetical Genre nasikh al-Coran wa-mansukhuhu », in Approaches to
the History of the Interpretation of the Coran, Andrew Rippin, ed.
(Oxford: Clarendon Press, 1988), pp. 130-1.
(28) Jalil, At-Tarbiya al-Jihadiya fi Daw’ al-Kitab wa ‘ s-Sunna, p. 7.
(29) Ibn Khaldun, The Muqadimmah. An Introduction to History, Franz Rosenthal, trad. (New York: Pantheon, 1958), vol. 1, p. 473.
(30) Hugh Kennedy, The Great Arab Conquests (Philadelphia: Da Capo, 2007), p. 112.
(31) « Saudi Legal Expert Basem Alem: We Have the Right to Wage Offensive Jihad to Impose Our Way of Life », TV Monitor, clip 2108, Middle East Media Research Institute, trad., mar. 26, 2009.
(32) « Egyptian Cleric Mahmoud Al-Masri Recommends Tricking Jews into Becoming Muslims, » TV Monitor, clip 2268, Middle East Media Research Institute, trans., Aug. 10, 2009.
(33) Denis MacEoin, « Tactical Hudna and Islamist Intolerance« , Middle East Quarterly, Summer 2008, pp. 39-48.
(34) Majid Khadduri, War and Peace in the Law of Islam (Baltimore: The Johns Hopkins Press, 1955), p. 220.
(35) Ahmad Mahmud Karima, Al-Jihad fi’l Islam: Dirasa Fiqhiya Muqarina, p. 461.
(36) Ibid., p. 469.
(37) Muhammad al-Bukhari, « Judgements (Ahkaam) » Sahih al-Bukhari, book 89, M. Muhsin Khan, trad., accès au site, le 22 juillet 2009.
(38) Michael Bonner, Jihad in Islamic History: Doctrines and Practice (Princeton: Woodstock Publishers, 2006), p. 148.
(39) Ahmed Akgündüz, « Why Did the Ottoman Sultans Not Make Hajj (Pilgrimage)? » accès au site, le 9 nov. 2009.
(40) Ahmad Ibn Naqib al-Misri, Reliance of the Traveller: A Classic
Manual of Islamic Sacred Law (Beltsville: Amana Publications, 1994), p.
605.
(41) Daniel Pipes, « Lessons from the Prophet Muhammad’s Diplomacy« , Middle East Quarterly, Sept. 1999, pp. 65-72.
(42) Arabinda Acharya, « Training in Terror« , IDSS Commentaries, Institute of Defence and Strategic Studies, Nanyang Technological University, Singapore, May 2, 2003.
(43) « Does hypocrite have a past tense?« , for clip of Osama bin Laden, accès au site, le 1er août, 2009.
(44) Ibrahim b. Muhammad al-Shahwan, et al., « Correspondence with Saudis: How We Can Coexist« , AmericanValues.org, connection du 28 juillet 2009.
(45) Ibrahim, The Al Qaeda Reader, p. 43.
(46) Steven Emerson, « Osama bin Laden’s Special Operations Man« , Journal of Counterterrorism and Security International, Sept. 1, 1998.
(47) Pour une liste des infiltrés dans les organisations américaines, voir Daniel Pipes, « Islamists Penetrate Western Security« , Mar. 9, 2008.
(48) Walid Phares, « North Carolina: Meet Taqiyya Jihad« , International Analyst Network, July 30, 2009.
(49) Coran 8:39.
(50) James Lorimer, The Institutes of the Law of Nations: A Treatise of
the Jural Relations of Separate Political Communities (Clark, N.J.: The
Lawbook Exchange, Ltd., 2005), p. 124.
http://blog.sami-aldeeb.com/2012/01/05/la-taqiyya-dissimulation-et-les-regles-de-la-guerre-islamique/#comment-38254
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